Ebling aimait bien prendre goût à ce jeu. Le sentiment de «voler» la vie d'un autre homme l'enchantait. Sa vie médiocre, la routine qu'il avait depuis des années, tout ça laissait enfin place au jeu et à l'excitation chaque fois que le téléphone sonnait. Il ne connaissait presque rien de la vie de Ralf, mais il était sûr d'une chose: elle était bien plus trépidante que celle de pauvre technicien qu'il menait. Il voulait que ça change. Et il voulait connaître Ralf!
Il attendit plus de deux jours avant que le téléphone ne résonne à nouveau. Le coeur battant, la respiration saccadée comme celle d'un marathonien, il répondit:
-Allo?
-Ralf? C'est Benoît. Ça fait un bail!
-Oui, comment tu vas?
-La grande forme! J'ai entendu dire que tu allais être présent au souper bénéfice samedi?
Ebling hésita une seconde. Depuis plusieurs semaines, il prenait plaisir à se faire passer pour Ralf, mais avait-il envie de le jouer au point d'aller là-bas et de trouver la réponse à la question qui le hantait?
-Oui, bien sûr que j'y serai!, lança-t-il finalement. Pourrais-tu juste me redonner l'heure et le lieu du souper, s'il te plaît?
-C'est au Feu Follet, le grand restaurant chic au centre-ville. Sois là à 19h.
-D'accord. On se voit samedi, Benoît!
Aussitôt la conversation terminée, Ebling se laissa tomber sur le fauteuil. Il allait enfin savoir... Toute la semaine, il n'avait presque pas fermé l'oeil. Le grand moment arriva. Il enfila son plus beau veston et se dirigea vers le restaurant le plus réputé en ville.
18h50. Ebling était devant la porte, impatient de voir le fameux Ralf. Une grosse Mercedes noire se stationna devant la porte. Deux hommes en sortirent. C'est alors que le cellulaire se mit à sonner. Aussitôt, les deux grands gaillards se dirigèrent vers Ebling et avant même qu'il ne puisse bouger, il était assis à l'arrière de la Mercedes. Un homme aux cheveux poivre et sel le regardait.
-Alors, pour qui travailles-tu? Le FBI, la CIA, Interpol? Pourquoi tu te fais passer pour moi?
-C'est une erreur, monsieur, j'ai acheté un cellulaire et...
-Arrête de pleurnicher, je ne crois pas un mot de tes sornettes. On ne se moque pas ainsi du parrain de la mafia...
Jonathan Deschênes, groupe Rouge